Ce matin, nous étions réunis à Petit-Quevilly autour de Micheline, décédée il y a quelques jours, après avoir enduré pendant près de 10 ans la maladie de Parkinson. Elle aura beaucoup compté pour moi. Ma mère et elle s’étaient connues avant que je naisse. Avec Jean-Michel et Claire, ses enfants, ma sœur et ma cousine, nous formions une grande famille. C’était toujours un bonheur de se réunir, de se retrouver. Grâce à eux, à mes parents, à mon oncle et ma tante, nous avons vécu une jeunesse dorée. C’était le temps de l’insouciance. J’ai aimé cette vie. J’ai aimé ce monde-là.
Avant-hier, au téléphone, je discutais avec Jean-François et nous échangions sur la disparition de l’écrit, sur cette inculture générale qui règne en maître sur notre société. Plus préoccupés par apprendre le globish, nos jeunes savent à peine écrire dans leur langue maternelle. Je relatais les propos de ce directeur de centre de formation qui, entre 2007 et 2011, m’avait sous-traité un contrat de community manager. J’avais notamment à rédiger des articles techniques sur l’actualité de l’informatique à la cadence d’un par semaine. Au bout de quelques temps, je lui ai demandé les raisons qui l’amenaient à ne pas vouloir solliciter les 300 ingénieurs-formateurs de son centre pour écrire ces articles. Il me répondit alors cette phrase étonnante : « Ils ne savent pas écrire, Denis. » Peut-on penser sans savoir écrire ou bafouiller ces mots, comme je le fais très maladroitement devant vous ?
Ce monde est devenu sec. L’indignation sélective s’est substituée à l’empathie, que nous ne savons même plus exprimer par de simples mots. Notre mémoire s’est réduite à l’image et au son. Sans parler de l’arrogance de tous ces gens qui, de leur lucarne ou de leur hublot, réduisent le monde à leur petite vie. J’ai eu personnellement beaucoup de chance de connaître Jean-Claude et Micheline, sans lesquels ma vie aurait été fort différente. Ce vieux monde dont je fais partie nous a donné des armes et des valeurs. Avec un certificat d’études, nos parents étaient des gens curieux, cultivés, chez qui il n’y avait aucun chichi, aucun faux-semblant. Et ils savaient l’importance qu’il y avait à lire, écrire et compter.
Je hais ce monde bouffi de suffisance et d’hybris qui nous enlève un par un les gens que nous aimons et qui nous ont tant aimés.
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