Olivier Taconet avait convié Laurent Joffrin et Benoît Thieulin à venir discutailler d’union à gauche avec les militants radicaux de gauche à Pont-de-l’Arche vendredi dernier. Deux petits mots pour situer les impétrants. Laurent Joffrin, ancien directeur de Libé et de l’Obs, est un homme de gauche éminemment respectable, avec lequel je partage très peu d’idées sur l’Europe, sur cette nécessaire souveraineté à reconquérir et sur la relocalisation de l’économie. Quant à Benoît, nous nous sommes croisés très certainement au moment de Désir d’avenir en 2006, alors qu’il était le responsable de la campagne numérique de Ségolène Royal. Il l’anima d’ailleurs avec brio. Benoît a annoncé sa candidature sous la bannière LaREM à Fécamp en 2019. Finalement, il a décidé de ne pas se présenter. Ouf. Les deux compères ont décidé de créer un mouvement politique dont l’ambition serait de rassembler la gauche… hors Mélenchon et LFI. C’est déjà un peu mal parti.
Rassembler à droite de la gauche : quelle bien drôle d’idée !
Je voudrais faire une première observation : comment des personnes se situant à la droite de la gauche auraient la capacité à rassembler leur camp ? Comment les idées qu’ils incarnent pourraient être susceptibles de mobiliser l’électorat de droite et d’extrême-droite face à Macron au 2e tour de l’élection présidentielle de 2022 ? Notre actuel Président est parvenu au pouvoir avec les voix de la gauche de gouvernement qui n’aura pas voté Hamon en 2017. Il y a donc un hiatus originel dans leur démarche. Et je me pose la question de savoir si l’objectif ne serait pas plutôt d’amarrer une 2e fois la gauche social-libérale au futur candidat Macron. Je leur laisse le bénéfice du doute !
Une gauche de gouvernement préférant les ors de la République
Ma 2e observation porte sur nos profondes divergences. La gauche de Laurent Joffrin s’est construite dans le mimétisme. Elle s’est arrimée à la pensée de la droite sur l’entreprise et sur l’Europe. Souvenez-vous de ce Vive la crise en une de de Libération en 1984 et de Paris-Match montrant Sarkozy et Hollande appelant à voter OUI au TCE en 2005. Cette gauche a aujourd’hui abandonné le champ social, privilégiant la volonté de contrôle des institutions, des entreprises et du monde associatif en y plaçant des copains et des élus. La droite a gagné la bataille culturelle, là où la gauche aurait dû montrer l’exemple en s’investissant dans le care et le bénévolat pour rester au plus près de cette France en galère ! Je croirais en cette gauche le jour où je verrais Marc-Antoine Jamet et Timour Veyri servir la soupe aux côtés des bénévoles des restos du cœur, plutôt que de passer leur temps sur leurs téléphones mobiles ou se faire photographier dans la presse locale tout en parlant pour ne rien dire. Comment les militants du PS de l’Eure, en plein Stockholm Syndrom, ont pu choisir pendant plusieurs années le secrétaire de LVMH comme leur 1er représentant ? J’ai une pensée émue pour les propos drôlatiques de ce militant socialiste venu nous expliquer que le PS était la matrice de la gauche. Une bien drôle de matrice, en vérité, qui aura enfanté quelques monstres politiques dans la période récente !
L’Europe, l’Europe…
Nous ne parviendrons pas à changer l’Europe. L’idée même d’une Europe fédérale est un naufrage intellectuel, là où les Allemands et les pays du Nord s’en sont servi comme un outil de leur politique économique nationale. Même sur la PAC, nous sommes en train de nous faire rouler dans la farine ! L’Allemagne a besoin d’un euro fort pour acheter à vil prix ses produits agricoles qu’elle nous exporte et les composants de ses voitures vendues aux Chinois et aux Américains. Une fois les pièces fabriquées dans les pays de l’Est hors zone euro, ils les importent, les assemblent à l’aide du contrôle d’ingénieurs et y mettent ensuite un coup de tampon « made in Germany« , avec de faibles coûts de production, du fait du recours massif à la main d’œuvre turque et immigrée payée à coup de lance-pierre. C’est ça le mirage allemand auquel croient aujourd’hui des millions de Français en achetant des voitures estampillées Mercedes et BMW. Arrêtons d’être de grands naïfs sur l’Europe !
Naïveté, inconséquence et incompétence
A l’occasion de l’affaire des écoutes de la NSA révélées par Edward Snowden en 2013, j’avais entendu Ayrault et Fabius, alors 1er ministre et ministre des affaires étrangères de François Hollande, nous expliquer qu’ils ne savaient pas ! Faut-il être aussi naïf et incompétent pour ne pas comprendre que nous nous sommes fait piller nos données dès 2001 ? Et lorsque Montebourg alerte Valls et Hollande – sous le charme et l’emprise d’un certain Emmanuel Macron – sur le danger du démantèlement d’Alstom par General Electric, ils n’ont pas compris, en vendant l’entreprise aux Américains, que nous devenions totalement dépendants au niveau de l’achat de nos turbines dans des secteurs stratégiques de l’économie française comme la Défense et le nucléaire !
Deux gauches irréconciliables… au moins
Je ne crois pas que c’est en parlant d’union que la gauche pourra reconquérir le moindre centimètre carré vis à vis de l’idéologie néo-libérale. L’union n’est qu’un vœu pieux, alors que cette gauche conservatrice incarnée par Laurent Joffrin a toujours préféré voter pour le centre droit plutôt que pour des gens réellement engagés à gauche. Il suffit de la voir se comporter dans les exécutifs locaux aux côtés de la droite pour comprendre à quel point, chez eux, la confusion mentale – et comportementale – est profonde. Oui, il y a peut-être désormais au moins deux gauches devenues totalement irréconciliables !